... et mis à terre par la remarque d’un collègue la minute suivante… Être dans la tête d’un "HPI" n’est pas de tout repos. En France, 2,3% des enfants scolarisés sont considérés comme "intellectuellement précoces" selon les calculs de probabilité de l’OMS, et, une fois adultes, ces "haut potentiels intellectuels" (HPI) ont parfois bien du mal à trouver leur place en entreprise.
Qu’est-ce qu’un "Haut Potentiel Intellectuel" ou "HPI" ?
Au terme de surdoué (qui impliquerait que d’autres sont sous-doués), les professionnels de la santé préfèrent le terme de personnes douées, de "haut potentiel intellectuel", ou encore de zèbres, une appellation popularisée par la psychologue Jeanne Siaud-Facchin. Et pour cause, être HPI ne repose pas uniquement sur le fait d’être un génie des maths, ou d’avoir sauté une classe, mais sur une façon de raisonner différente.
Le test le plus reconnu pour diagnostiquer un haut potentiel intellectuel est le WAIS, conçu aux États-Unis dans les années 40. Ce test, supervisé par un psychologue, permet d’apprécier les capacités intellectuelles d’un individu, en évaluant sa compréhension verbale, son raisonnement logique, sa mémoire, ou encore sa capacité à traiter les informations. Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit donc pas d’un simple test de QI, mais bien d’un bilan complet, visant à analyser la façon dont l’individu réfléchit, analyse et traite les informations. Traditionnellement, quelqu’un est considéré comme HPI si son QI est supérieur à 130 (la moyenne étant fixée à 100), mais, là encore, seul un vrai test psychométrique permet de poser le diagnostic d’une précocité intellectuelle.
Ces capacités intellectuelles hors norme s’observent d’ailleurs sur le plan physiologique : une étude menée au CERMEP (Centre d’Imagerie du Vivant) de Lyon par les spécialistes Olivier Revol, Dominique Sappey-Marinier et Fanny Nusbaum, montre qu’à l’IRM, les cerveaux des adultes surdoués présentent une connectivité cérébrale bien plus importante que celles des individus standards. Les informations se transmettent plus rapidement, entre les deux hémisphères du cerveau, mais aussi au sein d’une même hémisphère.
Quelles sont les caractéristiques d’un HPI ?
Grâce à cette étude, les chercheurs ont identifié deux profils de haut potentiel intellectuel assez distincts, les "complexes" et les "laminaires". Les laminaires ont plutôt tendance à analyser, ils sont assez constants, organisés et rationnels, et sont généralement assez stables. Les complexes, eux, sont plus impulsifs, ont une intuition très développée, font preuve de créativité et peuvent avoir du mal à gérer leurs émotions. En somme, les complexes présentent souvent un décalage entre un intellect très mature et une sphère émotionnelle et relationnelle beaucoup plus fragile.
Globalement, même si chaque profil est différent, les personnes à haut potentiel se caractérisent dans l’ensemble par une très grande facilité à déchiffrer une situation, une façon de penser en arborescence, chaque idée en engendrant une autre ; une recherche de la complexité, une intuition assez développée, une grande créativité, une hypersensibilité émotionnelle, et un perfectionnisme poussé.
Ces attributs, s’ils peuvent se révéler très précieux dans le monde du travail, présentent toutefois leurs inconvénients quand il s’agit de s’intégrer dans un système hiérarchique, de faire passer ses idées, ou tout simplement de nouer des relations avec ses collègues.
Un diagnostic qui permet de mieux comprendre
"Je me suis rendue compte, au bout de quelques années d’expérience professionnelle, que je changeais de boite très souvent, j’avais du mal à trouver ma voie, se souvient Mélanie Poinas, consultante et formatrice en freelance. Je pensais avoir un trouble de la personnalité, je voyais que les gens me trouvaient bizarre parfois, qu’ils ne me comprenaient pas toujours…".
C’est en discutant avec une amie, elle aussi haut potentiel intellectuel, que Mélanie finira par se faire diagnostiquer intellectuellement précoce , à trente ans. "Ça a été libérateur ! Avant, j’essayais de rentrer dans un moule, d’être quelqu’un de standard. Là, j’ai compris que si j’avais autant de mal à me relier aux autres, c’était avant tout parce que mon cerveau n’avait tout simplement pas le même fonctionnement", retrace la jeune femme.
"Être diagnostiqué permet de mieux se connaître, et de savoir qu’il y a des choses du monde professionnel que l’on ne pourra pas supporter, souligne la psychologue Arielle Adda. Lorsque les gens ne savent pas qu’ils sont doués, ils ont tendance à ne voir que ce qu’ils font mal, à être très durs envers eux-mêmes voire à subir un vrai sentiment d'imposture. Avec un test, au moins ils parviennent à se regarder plus lucidement."
Passer un véritable test de QI en cas de doute, supervisé par un professionnel de la santé, permet donc de mieux comprendre son propre fonctionnement, et ainsi mettre des mots sur des traits de caractère qui, jusque-là, nous échappaient. Cela aide aussi à mieux appréhender quels sont les points de vigilance à avoir, à la fois vis-à-vis de soi et des autres.
Pour autant, Arielle Adda ne recommande pas à ses patients de dire à leurs collègues qu’ils ont un potentiel élevé, notamment en raison des préjugés qui sont associés à ce terme, surtout en France. Cela ne serait d’ailleurs jamais venu à l’idée de Mathilde, diagnostiquée HPI enfant : "Pour moi c’est une donnée de l’ordre du personnel, presque de l’intime, j’en parle assez peu autour de moi. Une des raisons à cela est le côté très galvaudé de ces mots "haut potentiel" ou "surdoué", ça me semble délicat de s’autoproclamer comme tel ou d’en faire un argument sur un CV. D’autant que c’est plus souvent vécu comme une galère et une manière différente de fonctionner que comme un truc fabuleux !", explique la trentenaire. En effet, pour la plupart des personnes concernées, la vie professionnelle d’un “haut potentiel intellectuel” est loin d’être un long fleuve tranquille.
Une communication difficile
"En tant que haut potentiel intellectuel, nous attendons souvent des autres qu’ils prennent des pincettes avec nous, alors que nous n’en prenons pas. Il est difficile pour des profils comme nous d’admettre que l’autre a raison… Quand nous sommes convaincus de quelque chose, nous le sommes de tout notre être, ce qui nous rend peu réceptifs à ce que peut dire notre entourage", admet Mélanie. Parce que les idées fusent et que le chemin à suivre est évident pour eux, il est parfois difficile pour les HPI "d’attendre" les autres. "Certains de mes patients ne supportent plus les réunions qui n’aboutissent pas, ils ont le sentiment que lorsqu’ils alertent qu’un projet va dans le mur, ils ne sont pas écoutés. C’est très frustrant quand on est seul à voir quelque chose que personne d’autre ne comprend", explique Arielle Adda.
Pour ne pas être trop impulsive et se laisser gagner par l’énervement, Mélanie a appris à développer des petites astuces : "La gestion des émotions est très importante quand on est HPI. On est vite agacés quand les choses ne vont pas dans le bon sens, donc en réunion ce n’est pas facile. J’utilise beaucoup la cohérence cardiaque (une méthode de gestion du stress par la respiration, ndlr) dans ces moments-là, je ne réponds jamais du tac au tac. Il faut apprendre à laisser un temps de latence : rester dans son bureau, aller respirer dans la cuisine, surtout ne pas réagir à chaud."
Parce que certains HPI sont très empathiques, certaines situations professionnelles peuvent être plus challengeantes que pour d’autres. "Les HPI sont très vite heurtés, froissés, les blessures ne cicatrisent pas. Ils ont un besoin très fort de comprendre, et se mettent souvent à la place de l’autre. J’ai par exemple eu des chefs d’entreprise qui n’arrivaient pas à virer quelqu’un parce qu’ils avaient trop de remords, et mettaient ainsi en péril leur entreprise en gardant quelqu’un d’incompétent", illustre Arielle Adda.
Hypersensibilité, impulsivité, perspicacité aiguë… autant de caractéristiques du haut potentiel intellectuel qui peuvent s’avérer difficiles à canaliser lorsqu’on entre dans le milieu de l’entreprise. Là encore, bien se connaître permet de développer des astuces pour adoucir ses relations avec les autres, et, le cas échéant, ne pas se laisser marcher sur les pieds.
Une quête de sens exacerbée
Outre leur volonté de vouloir bien faire, le haut potentiel intellectuel a aussi besoin de comprendre ce qu’il fait. Si la quête de sens est devenue un vrai sujet pour nombre de travailleurs, celle-ci résonne peut-être encore plus fortement chez eux.
"La quête de sens chez un haut potentiel intellectuel est plus intense, abonde Mélanie. Il faut absolument que l’on comprenne pourquoi on fait ce que l’on fait, au risque de s’en désintéresser très vite." C’est la raison pour laquelle la psychologue Arielle Adda conseille souvent aux HPI de se fier à leur intuition. "Il faut, dès le départ, “sentir” son entreprise. Si ce n’est pas le cas, ça ne va pas aller", affirme la psychologue. "Il faut se renseigner sur les missions, sur le type de management, ne pas hésiter à demander à rencontrer son manager dès l’entretien d’embauche, ajoute Mélanie. Si on ne se sent pas à l’aise dès le premier entretien, il vaut mieux passer son chemin."
Comme pour toute personne qui ne trouve pas de sens à ce qu’elle fait, le risque est que la démotivation pointe très vite le bout de son nez. Sauf que, dans le cas d’individus qui comprennent les tenants et les aboutissants d’une mission deux fois plus vite que les autres, la probabilité de s’ennuyer rapidement est aussi deux fois plus grande.
Comment s’épanouir au travail quand on est Haut Potentiel Intellectuel ?
Pour ne pas se morfondre derrière leur bureau, le haut potentiel intellectuel peut développer plusieurs tactiques. Demander à gérer des tâches en dehors de leur fiche de poste par exemple, qu’elles soient d’ordre professionnel ou informel. Si on ne s’épanouit pas à travers ses tâches, il y a toujours moyen de créer du lien autrement. Mais encore faut-il que le management soit réceptif !
C’est souvent ce qui pêche dans les entreprises qui ont à gérer des personnes HPI: celles-ci ont beau proposer des idées, elles ne sont pas toujours entendues. "Quand la capacité des personnes douées est reconnue au sein de l’entreprise, cela peut très bien se passer car on peut leur confier les tâches plus délicates, qui demandent une bonne capacité à synthétiser", note Arielle Adda.
Pour être sûr de s’épanouir au mieux quand on est haut potentiel intellectuel, mieux vaut donc viser des entreprises agiles, qui sont réceptives au changement, et qui promeuvent avant tout les valeurs humaines. En termes de postes, les HPI s’épanouissent souvent dans la gestion de projet, qui demande à mobiliser plusieurs compétences, dans des métiers créatifs, ou encore dans des professions tournées vers l’humain.
Côté management, la hiérarchie doit à la fois apprendre à laisser de l'autonomie à leurs salariés HPI tout en sachant les cadrer, pour leur éviter de partir dans tous les sens. "Il faut que les entreprises apprennent à faire plus confiance aux salariés, souligne Mathilde. L’idéal pour un HPI est d’avoir un management à la fois structurant, et qui nous laisse une grande marge de manœuvre. Devoir rendre des comptes systématiquement sur tout ce qu’on fait, ce n’est pas possible."
Le freelancing, la voie idéale ?
Pour cette raison, nombreux sont les HPI à se tourner vers l’entrepreneuriat.
"C’est une excellente solution pour un HPI d’être à son compte, mais ils peuvent aussi très mal supporter d’être seul tout le temps, met en garde Arielle Adda. Ils ont besoin d’avoir des relations sociales quand même, et le contexte actuel rend les choses d’autant plus difficiles de ce point de vue-là." Le télétravail lié à la "crise" peut en effet décupler le sentiment d’isolement, ressenti plus fortement chez les personnes à haut potentiel. Sans compter la précarité qui découle parfois de l’entrepreneuriat, et qui peut engendrer un certain stress.
Un management plus souple, des postes à responsabilités et à compétences multiples, des entreprises réactives et bienveillantes, la possibilité de se former régulièrement… Voilà les principaux éléments dont aurait besoin un individu à haut potentiel intellectuel pour s’épanouir sur le plan professionnel. Éduquer les entreprises à ce qu’est la "douance" est également crucial pour que les HPI puissent s’épanouir pleinement dans le monde professionnel. Comprendre quelles sont les qualités et les défauts de ce type de fonctionnement psychique permet d’utiliser au mieux leurs aptitudes, de les mettre au service de l’entreprise, et de leur propre bien-être. Quitte à, un jour, mettre en place une politique RH dédiée à ces profils ?
Source : Welcome to the jungle
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