Les Salles sur Verdon,  l'histoire du barrage et la fin d'un village

Publié le 15 août 2022 à 13:06

Métamorphose du Verdon

Années 50. Imaginez donc une vallée entourée de collines aux pentes douces. Au petit matin, cette vallée est totalement inondée d’une épaisse brume blanche et pure, maintenue prisonnière par les collines qui l’encerclent. Imaginez aussi une végétation clairsemée de chênes, de pins et de cyprès. Au centre de cette plaine, prospèrent des champs de blé, d’orge, des oliviers et des vignes. La Lavande, les truffes, le miel et les bulbes de fleurs sont aussi cultivés par les quelques habitants qui n’ont pas encore déserté l’endroit au profit des grandes villes de la côte d’Azur. Les villages sont animés par les forgerons, tailleurs de pierre, cordonniers, tisserands, boulangers et cafetiers. La rivière qui fertilise la plaine évoque un jardin paradisiaque. 

Voilà à quoi ressemblait cette partie du Verdon avant la mise en eau de la vallée : une plaine calme et généreuse. Avec la construction du barrage au début des années 70 cette plaine va entamer sa mue.

Le dessin d’un barrage

L’idée de l’aménagement du Verdon n’est pas récente en soi puisqu’elle remonte au début du XXème siècle. Il faudra attendre véritablement les années 60 pour qu’un plan de barrage soit présenté aux habitants (on parle alors d’un "projet de régulation d’eau"). Les principales raisons sont exposées. La future construction devra subvenir aux différents besoins en eau potable et en électricité d’une population toujours plus importante. Aussi, elle doit assurer une irrigation permanente aux agriculteurs.

A tournant des années 70, si la réalisation d’un barrage ne comporte pas de difficulté technique, ce sont les populations locales qui y font le plus obstacle. En effet, le projet va entrainer de profondes modifications. Non seulement le paysage mais surtout toute l’organisation globale des populations de la vallée va être modifiée. Tant que le projet de construction initial prévoit l’inondation de la totalité des villages présents (Salles-sur-Verdon, Bauduen et Sainte Croix), les populations s’opposent fortement à celui-ci. Après un temps d’âpres discussions, un projet définitif est accepté qui épargne les villages de Bauduen et Sainte-Croix. Le village des Salles-sur-Verdon sera englouti et un nouveau village sera reconstruit à l’abri des eaux.

Naissance d’une petite mer

Avec le barrage, la vallée change progressivement de visage. Alors que les champs s’estompent sous la couleur turquoise des eaux montantes, de nouveaux reliefs se dessinent. L’eau calme épouse les innombrables ravinements des collines, des criques et des plages émergent alors de cette transformation. La région se découvre ainsi un nouveau visage ; ouvert à tous, le lac devient une nouvelle destination touristique populaire.

Le barrage en chiffre

Le barrage de Sainte Croix est une retenue hydro électrique construite entre 1971 et 1974, date à laquelle elle est mise en service définitivement. Géré par la société EDF, le lac représente la 4ième plus importante retenue de France.

Son architecture en forme de voûte à double courbure atteint 95 mètres de hauteur. Constitué de 55000 m3 de béton, la particularité topographique du barrage fait qu’une très grande quantité d’eau peut être retenue avec très peu de béton. Avec un ratio de 1m3 de béton pour 15000m3 d’eau, le barrage de Sainte Croix est l’un des plus importants de sa catégorie en Europe. Mais pour des raisons de sécurité, il est aujourd’hui interdit à la visite. Toutefois, on peut toujours admirer son impressionnante ligne de crête depuis le pont qui enjambe le lac sur la D111.

Le barrage a une production électrique équivalente à une ville de 150 000 habitants. Il participe également à l’irrigation des terres agricoles de la région.  Enfin, il assure à la population un apport constant en eau potable.

Les Salles sur Verdon,  l'histoire du barrage et la fin de l'ancien village

L'idée du barrage n'est pas récente. Un syndicat de défense fut créé en 1930, il avait à sa tête M. Remusat ; à l'époque la "Société Schneider" projetait déjà de construire le barrage. Celui-ci était pour les Sallois comme une épée de Damoclès sur leur tête. On y croyait sans y croire et l'on n'osait rien entreprendre. Malgré tout, la vie continuait.

Au début, les Sallois ont manifesté violemment leur opposition en fermant leurs portes au nez des enquêteurs. Lors d'une réunion présidée par le Préfet, un magnétophone a été mis en place pour enregistrer les promesses.

Malgré cela, EDF envoie aux Salles un ingénieur, M. Béranger, pour préparer l'implantation du mur. Comme ce dernier est propriétaire dans la commune, il peut donner des conseils, mais on ne l'écoutera pas. On met en place un syndicat de défense. On lutte, mais on sait très bien que le barrage se fera. Il n'est plus question d'être pour ou contre : l'important est de se grouper pour lutter efficacement contre EDF.

Le 6 janvier 1967, l'enquête parcellaire est annoncée. A partir de mars 1969, on creuse un canal de dérivation avec batardeau. Pendant l'enquête parcellaire, il y a désaccord sur les truffières, celles-ci sont implantées sur des terrains pauvres (landes). De plus, la truffe est une récolte qui n'est pas déclarée. Afin d'estimer ces terrains et la récolte, les enquêteurs suivent les propriétaires pendant celle-ci.

Au départ, l'eau devait monter jusqu'à la côte 500. L'île de Costebelle aurait été submergée ainsi que les villages de Bauduen et de Sainte-Croix. Il était question de reconstruire le village sur la commune d'Aiguines. En abaissant la côte à 482, on a pu l'implanter sur le plateau de Bocouenne, et on a sauvé les villages de Bauduen et Sainte-Croix mais les Sallois restent seuls pour lutter.

Pour réaliser le lotissement, il faut exproprier les propriétaires du plateau de Bocouenne. Ceux-ci sont mécontents d'être expropriés une seconde fois. Il le sont encore plus lorsqu'ils apprennent le prix fixé par la mairie pour l'évaluation des terrains.

En mars 1970 commence l'achat des terrains par EDF. Il n'est pas question de permettre aux enquêteurs de pénétrer dans les maisons. Quand le syndicat permet de le faire, le mécontentement grandit et un nouveau syndicat voit le jour. Au lieu de lutter, de se serrer les coudes, les Sallois se sont divisés et cette situation a grandement facilité la tâche de la "puissante EDF".

Quelques petits propriétaires sont bien heureux de vendre au delà de leurs espérances une vieille maison ou un petit lopin de terre. Chacun a espoir de s'en tirer à meilleur compte que le voisin. Certains courtisent même les agents EDF dans l'espoir de mieux vendre. Adieu les bonnes résolutions. C'est le "chacun pour soi". Très peu de dossiers vont à l'expropriation.

En mars 1971, le maire est battu aux élections municipales par un inconnu qui n'est pas électeur aux Salles, M. Charles "Rossely de Lorgues", qui se dit "Comte de Provence". M. Signoret et M. Perrier disent que c'est un homme qui peut beaucoup apporter aux Salles. Si EDF reconnaît la reconstruction du village, elle ne prend pas à sa charge la reconstruction des maisons. Toujours en 1971, on implante la route d'accès au village et on réalise l'alimentation en eau. On admet le principe de restitution de 4 litres seconde d'eau brute tirée dans le barrage, à la commune d'Aiguines contre 2 litres seconde d'eau potable tirée de la source de "Chardes". De mai 1973 à août 1973, tous les résidents secondaires doivent libérer leurs maisons. 

En novembre 1973, le barrage est mis en eau. Devant la montée lente des flots, l'exode du village commence, et en janvier 1974, les deux derniers habitants des Salles sur Verdon sont évacués par la gendarmerie. Nous pouvons imaginer l'émotion qui étreint alors les Sallois. Les terres noyées peu à peu, la maison natale rasée par les engins de chantiers puis submergée inexorablement, qui disparaît dans les eaux émeraudes. Les morts sont transportés dans le nouveau cimetière, chassés de leur lieu de repos. L’église est dynamitée. Les souvenirs s’engloutissent.

Dans le village actuel, clair, ouvert, aux maisons proprettes et aux rues bien droites, on retrouve des vestiges de l'ancien village : deux lavoirs, une fontaine, quelques encadrements de portes… Mais, surtout, les noms des rues ont été choisis en référence aux lieux-dits portés sur le cadastre de l'ancien village. Pourtant, n’allez pas croire que ces maisons ont été payées par EDF : l'entreprise nationale s’est contentée de racheter les anciennes demeures avec 75% de vétusté, vous imaginez dès lors la différence de prix pour s’offrir une maison dans un village tout neuf…

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Février 1974 : Le village n'est plus qu'un ensemble informe où il est difficile de reconnaître l'ancien village familier. Le lac est au pied du village. L'eau monte inexorablement. L'adjoint au maire, M. Signoret, qui n'a plus chez lui ni eau ni électricité, s'apercevra un matin que le rez-de-chaussée de sa maison a été envahi par les eaux durant la nuit. Equipé de cuissardes et muni d'une barque, il déménagera avec l'aide de Robert Ribaud le niveau le plus bas de sa maison.

Germaine Richard armée d'un balai, s'efforçant de maintenir propre... au milieu des tonnes de décombres de ce qui était la place du village.

Le 5 mars 1974 : L'église centenaire du vieux village est dynamitée

Le pont d'Aiguines, classé monument historique, est sous l'eau depuis 1974. Il comprenait, il y a cent ans, dix arches en plein cintre d'ouvertures différentes, formant un débouché linéaire de 119 mètres. Le décor a changé, chassant les agriculteurs, bientôt remplacés par les touristes.


Sources textes : François Simian, ex-instituteur à l'Ecole Communale des Salles-sur-Verdon et divers blogs - Sources images d'archives : web

Montage : LMM

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