Paris - Plus de report possible, désormais les entreprises doivent commencer à rembourser les prêts garantis par l'Etat (PGE) contractés pendant la crise sanitaire, et si la plupart parviennent à honorer leurs échéances, la situation est critique pour certaines, contraintes d'appeler leurs banques à la clémence.
Comment rembourser un PGE qui correspond à 15% de mon chiffre d'affaires quand je fais toujours 20% de chiffre d'affaires en moins qu'avant la crise? Ce n'est pas possible". Patrick Bellity, patron de la fonderie Sifa Technologies, résume le dilemme auquel il est actuellement confronté.
L'entreprise, déjà fragilisée par la crise du diesel de la fin des années 2010, a souscrit mi-2020 un PGE. Le chef d'entreprise a négocié un décalage jusqu'en novembre 2022 de ses premiers remboursements. Et après ? "Je ne sais pas si je pourrai payer car je ne sais pas quel sera mon niveau de commande à l'automne", lâche-t-il.
Selon la Banque de France, sur les près de 700.000 entreprises ayant souscrit un PGE pour plus de 148 milliards d'euros au total, le taux de défaut pourrait atteindre à peine 3%.
"De manière générale, beaucoup d'entreprises ont une capacité d'adaptation assez forte", confirme Virginie Normand, directrice des marchés spécialisés Banque Populaire chez BPCE, qui juge "epsilonesque" le niveau des impayés à ce stade sur les quelque 230.000 PGE accordés par le groupe.
"A quelques exceptions près, les entreprises ont commencé comme prévu à rembourser", confirme-t-on à Bercy, où est piloté le comité de sortie de crise créé mi-2021.
- "Plus aucune marge de manœuvre "
Mais ces statistiques plutôt rassurantes ne doivent pas cacher les difficultés réelles de certaines entreprises.
Comme pour le groupe touristique Pierre et Vacances, contraint à un plan de sauvegarde et qui a vu son PGE converti en capital pour plus de 200 millions d'euros, faisant entrer des créanciers dans l'actionnariat du groupe.
Dans l'hôtellerie-restauration, où beaucoup d'entreprises ont souscrit des PGE, une entreprise sur quatre affirmait fin juin ne pas être en capacité d'honorer ses remboursements, dans un contexte où l'inflation freine les dépenses des consommateurs.
La situation est aussi tendue dans le tourisme où "beaucoup d'entreprises, frappées de plein fouet par la pandémie, ont demandé le maximum autorisé de PGE, soit (un montant correspondant à) 25% du chiffre d'affaires. Le rembourser sur quatre ans c'est vraiment compliqué", s'inquiète Yvon Peltanche, représentant de l'association professionnelle Entreprises du voyage.
Lui-même a souscrit plusieurs PGE pour son réseau d'agences de voyage. Il n'a pas de difficulté à payer à court terme mais n'a "plus aucune marge de manoeuvre" si l'activité flanche, comme il le craint déjà avec les perturbations prévues dans le transport aérien cet été.
Dans le textile, le trésorier de la Fédération nationale de l'habillement (FNH) Stéphane Rodier explique à l'AFP avoir eu "des retours pas très heureux de la part de cabinets comptables, dans la mesure où les PGE sont désormais à rembourser non pas sur 6 ans mais sur 4 ans (du fait du report de deux ans pour les premières échéances), avec parfois une activité un peu moins forte".
- Restructurer -
Les entreprises en difficulté peuvent demander à restructurer leur PGE en passant par la médiation du crédit, via un dispositif spécifique négocié entre l'Etat et les banques, qui permet notamment d'allonger la durée de remboursement jusqu'à 10 ans.
Pour l'instant, seuls 300 dossiers ont été traités par la médiation du crédit, un chiffre "très bas", signe que la situation financière des entreprises reste positive, selon le médiateur Frédéric Visnovsky.
Beaucoup d'entreprises ignorent toutefois l'existence de ce dispositif d'échelonnement sur 10 ans, et beaucoup d'autres le boudent parce qu'il dégrade leur notation et complique leur financement.
"J'ai commencé à m'inquiéter début 2022 parce que la trésorerie repartait assez doucement. Je me suis dit : +Je vais aller négocier avec mes banquiers+. Ils m'ont dit +Très bien, mais sache que ça va être difficile pour toi de te financer pour les 3 à 5 prochaines années+", raconte Jean Valfort, à la tête de Panorama Group, propriétaire de cinq restaurants et de marques de cuisines virtuelles, qui a contracté un PGE d'1,5 million d'euros.
"Quand vous êtes en défaut, les assureurs-crédit se désengagent, ce qui fait que vous devez payer tout de suite vos fournisseurs, et ça ne fait qu'aggraver la situation", avance aussi François Asselin, président de la CPME, qui estime que les entreprises auront tendance à "préférer les procédures collectives qui gèlent les créances" (plan de sauvegarde, redressement judiciaire, liquidation...)
"On est conscient de cette difficulté, mais le PGE est un crédit bancaire, donc les banques appliquent des règles", fixées au niveau européen, répond-on à Bercy.
S'il n'y a pas le feu aujourd'hui, la dégradation des perspectives économiques pour les mois à venir inquiète. "On commence à voir des signes d'effritement des carnets de commande" des entreprises et, "si l'activité s'effrite, ça peut être compliqué", prévient François Asselin.
La Banque de France, dont dépend la médiation du crédit, pourrait d'ailleurs prochainement revoir à la hausse ses prévisions sur le nombre d'entreprises incapables de rembourser leur PGE, reconnait Frédéric Visnovsky.
Source : L’express
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